"En milieu polaire, l'exploration prend tout son sens"

Témoignages dans Plongée

Passionné par les régions polaires et la plongée sous-marine, Alban Michon est un aventurier et explorateur français. Il affectionne particulièrement les fonds marins inhospitaliers du grand Nord (Groenland, pôle Nord, etc.) où il plonge, chaque fois, avec la même fascination. De ces expéditions, il rapporte des reportages et des photographies qui tentent de transmettre sa démarche et sa philosophie profondément humaine. Il répond aux questions d’Abyssworld.

Abyssworld: Vous êtes né à Troyes, d’où provient cette passion pour les plongées sous glace ?

Alban Michon : J’ai commencé la plongée à l’âge de 11 ans dans un club de Troyes. Le 31 décembre 1997, un ami qui habitait à proximité d’un lac gelé m’a alors proposé de plonger sous glace. Ma toute première plongée en extérieur a donc eu lieu de nuit, le soir du réveillon et ce fut la révélation. J’ai trouvé ça subjuguant et tellement beau que j’ai voulu continuer pour mieux découvrir cet environnement particulier.

Qu’est-ce qui rend la plongée en zone polaire aussi unique ?

Il y a tout d’abord l’ambiance que l’on y trouve. C’est calme, c’est beau et apaisant. Et puis, vous vous souvenez alors des premiers explorateurs qui sont venus découvrir le monde polaire. Shackleton, Nansen et bien d’autres encore qui ont vu et vécu des aventures mémorables et difficiles. Vous vous souvenez de ces bateaux pris dans les glaces, dont certains ont même coulé. Et là, vous comprenez toute la puissance de l’élément, aussi insignifiant qu’il puisse paraître. La glace raconte notre passé mais elle est également le thermomètre de notre avenir. C’est encore un des rares endroits au monde où l’exploration prend tout son sens. Quand vous plongez sous un iceberg et que vous voyez des bulles d’air s’échapper de celui-ci, vous vous dites qu’elles ont probablement des milliers d’années et que c’est un privilège de voir cela. Et puis, découvrir une faune et une flore qui a su s’adapter à cet environnement extrême et hostile reste impressionnant et vraiment de toute beauté.

Faut-il une technique ou un entraînement spécifique pour pratiquer la plongée sous glace ?

C’est un peu particulier mais pas trop difficile non plus ! Il faut surtout maîtriser sa combinaison étanche, pour le reste on s’adapte. Le froid est plutôt un problème psychologique à régler et on s’y fait vite tant l’environnement où nous évoluons est magnifique. Je suis encadrant chez Abyssworld depuis plusieurs années maintenant. Avec mon expérience, je préfère conseiller aux personnes souhaitant plonger en eau froide de commencer par quelques plongées sous glace en France, avant de partir à la découverte du monde polaire.

Comment se prépare une expédition de plongée au Groënland ou au pôle Nord tant physiquement que mentalement ?

Une expédition, c’est toujours une longue préparation. Côté physique, nous travaillons la cardio et le renforcement musculaire dans les mois qui précèdent le départ. Côté mental, c’est surtout une préparation par la visualisation. Il faut prévoir tout ce qui peut arriver, y compris l’imprévisible. C’est un exercice intéressant car on doit trouver une solution à chaque problème. S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème !

Quelles différences avez-vous remarqué entre la plongée au Groenland et au pôle Nord ?

Il y a plusieurs différences. Au Groenland, la faune est plus importante car c’est avant tout une terre et donc il y a à manger. Au pôle Nord c’est une mer gelée, plus de 4000 mètres de profondeur donc la faune y est plutôt rare. Ensuite, l’autre différence c’est la visibilité. Du fait de l’éloignement des côtes et d’une grande profondeur, le pôle Nord offre à la fin de la nuit polaire (fin mars) une visibilité à plus de 150 m, c’est assez unique. Enfin, il y a d’autres différences liées à la qualité de la glace en elle-même : leurs histoires et leurs constitutions sont différentes. Leurs couleurs, leurs reliefs et leurs texture sont différentes. Même le son du craquement de la glace varie beaucoup entre le Groenland et le pôle Nord.

Quels sont vos plus beaux souvenirs ? Avez-vous envie de repartir ?

Oh oui, j’adorerais repartir. Mais c’est toujours tellement compliqué de trouver des sponsors. J’y travaille cependant et je sais que j’y retournerai un jour. J’ai tellement de beaux souvenirs. Évoluer sous la banquise arctique au milieu de morceaux de glace avec une visibilité phénoménale, ça c’est vraiment magique. Me retrouver face à face avec un ours polaire a également été un moment très intense pour moi, je ne l’oublierai jamais. Les aurores boréales, le requin du Groenland, etc. je pourrais passer des heures à vous raconter ces merveilleuses histoires !

Comment se passe le retour d’une telle expédition ? Vous sentez-vous euphorique ?

Après une courte période d’euphorie, le retour à la vie active est très compliqué. Personnellement, j’ai mis du temps après mon retour du Groenland. Presque 6 mois à retrouver le plaisir de raconter ce que nous avions vécu avec mon ami Vincent Berthet. Imaginez-vous, vous êtes coupé de la civilisation pendant près deux mois, dans un lieu magnifique où la vie suit d’autres rythmes. Libre et autonome dans vos faits et gestes. Aucune loi, aucune contrainte imposée par qui que ce soit. Vous êtes seul et ne comptez que sur vous-même. C’est tellement beau et unique que se retrouver ensuite au milieu d’une vie très superficielle nécessite des efforts difficiles et forcément une période d’adaptation difficile.

Vous êtes également conférencier. En quoi est-ce important pour vous de transmettre vos expériences ?

Faire une expédition n’est pas quelque chose d’égoïste pour moi. Il est important de partager cette expérience. Que ce soit dans des écoles ou dans des entreprises, parler du dépassement de soi, de la prise de risques et de la protection de l’environnement est primordial pour moi. C’est aussi ma manière de dire « regardez comme le monde est beau, il faut le préserver ». Je n’aime pas les discours alarmistes et je préfère de loin ces moments de partage. Et puis, faire rêver le public avec de belles images est également important. Tout le monde n’a pas la chance de voir ces paysages extraordinaires. Je l’ai eue, c’est normal d’en faire profiter les autres.

Le réchauffement climatique, pour vous qui êtes allé au pôle Nord et au Groenland, c’est quoi ? Une tragédie ou une légende urbaine ?

Malheureusement, non, ce n’est pas une légende ! Il suffit de regarder les cartes satellites des glaces pour s’apercevoir que la glace fond chaque année inéluctablement. C’est un phénomène qui s’accélère pour de multiples raisons. Néanmoins, je ne suis pas de ceux qui accusent et dénoncent, mais plutôt de ceux qui souhaitent laisser une trace. Les aventures permettent d’enrichir une bibliothèque d’images d’un monde en perpétuel changement et dont il faut prendre soin. Le monde en prend conscience progressivement et nous devons laisser le meilleur à nos générations futures. Tout n’est pas perdu, et partir en voyage dans ces zones polaires permet de mieux en parler autour de nous, d’éduquer et de faire prendre conscience de la fragilité de notre environnement.

Crédits photo : Unsplash.com (Anders Jildén)

 

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