Interview : Jean-Marc Rodelet, président de Sharkschool Europe

Témoignages dans Requins

Fasciné depuis son enfance par les requins, qu’il a longuement étudiés, Jean-Marc Rodelet est convaincu que l’approche et l’enseignement scientifique sont les vraies clefs pour mieux comprendre et expliquer le comportement des squales. Il a développé une approche intelligente et responsable qu’il applique à de nombreuses espèces de sélachimorphes. Aujourd’hui, il parcourt le monde pour partager ses connaissances et veiller à la protection durable de ces espèces aujourd’hui menacées. Il nous parle de sa passion, les requins, et de la situation actuelle de ces espèces.

Jean-Marc Rodelet, d'où provient cette passion pour ces "poissons" qui sont loin de susciter l'unanimité ?

J’ai eu la chance, durant mon enfance et adolescence, d’habiter dans un petit village de pêcheurs à proximité de la ville de Trieste en Italie, un port de l’Adriatique. La présence de gros bateaux, qui jetaient leurs détritus alimentaires par-dessus bord, attirait de très nombreux requins. Les pêcheurs revenaient régulièrement au port avec des requins morts ou mourants qu’ils déchargeaient sur les quais. Les badauds frappaient et invectivaient ces animaux. J’observais ces scènes tout en me questionnant sur les raisons de ces réactions. Un jour, lorsque j’étais seul, à l’eau, j’ai fait la rencontre d’un requin bleu. Coup de foudre ! Depuis ce jour-là, les requins ne m’ont jamais quitté.

On parle aujourd'hui de migration des requins, qu'est-ce que ce phénomène exactement ? Peut-on le comparer à celle des oiseaux ?

La migration est un des mystères du règne animal. Au sens large, elle consiste en un mouvement d’un groupe d’animaux d’un endroit vers un autre. De nombreuses espèces d’oiseaux migrent chaque année vers des zones chaudes pour hiverner et reviennent ensuite vers les zones tempérées riches en nourriture. On peut tenter un parallèle avec les requins mais sans affirmation scientifique absolue. Les raisons qui motivent les requins à se déplacer sont encore incertaines et cela varie fortement entre les espèces.

Le grand public semble découvrir ce phénomène aujourd'hui, sans doute à causes des récentes attaques de requins, mais qu'en est-il de la communauté scientifique ?

La connaissance des mécanismes de la migration est encore limitée, elle continue de questionner le monde scientifique. Il est déjà difficile de l’analyser chez les animaux terrestres, imaginez le défi que cela représente pour l’étudier chez les espèces marines. On commence à connaître les habitudes migratoires de certaines espèces comme le requin-tigre, le grand requin blanc, le mako ou le requin saumon. Cependant, nous en savons encore très peu sur la plupart des espèces de squales. Il est aussi à noter qu’une même espèce peut présenter des styles de déplacements différents.

C'est donc un objet d'étude sérieux ? Qu'est-ce que cela apporte comme informations scientifiques ?

Il s’agit d’un sujet d‘étude capital. La connaissance du déplacement des requins nous en dit plus sur leur comportement et permet d’élaborer des stratégies de protection notamment pour les espèces hautement migratoires. Certaines espèces peuvent traverser jusqu’à 18 eaux territoriales différentes, et éventuellement, se retrouver dans les eaux internationales où elles deviennent les cibles de pêcheries industrielles car le droit est difficilement applicable. Les balises satellites permettent de récolter des informations très précieuses sur les déplacements des requins.

Est-ce que tous les requins migrent dans toutes les mers et océans ?

Si l’on se base sur leurs déplacements, les requins peuvent être classés en trois catégories :

  • Les requins « locaux » : qui ne se déplacent presque pas, sinon sur de très petites distances (160 km). C’est le cas, par exemple, du requin-nourrice, le requin-tapis ou l’ange de mer.
  • Les requins côtiers/pélagiques : qui se déplacent dans des distances moyennes (1 600 km) à la recherche de nourriture. Le requin longimane, le requin-marteau halicorne, etc.
  • Les requins pélagiques : qui se déplacent sur des milliers de kilomètres en suivant les courants océaniques. Le requin mako, le requin bleu, etc.

Comment expliquer ce phénomène de migration ? Quelles en sont les causes et conséquences ?

On peut spéculer sur des raisons déjà connues chez d’autres espèces : la température, la reproduction et la nourriture. Ce sont des hypothèses, mais il n’existe aucune certitude. Les grands requins blancs de la côte ouest des États-Unis, par exemple, quittent les eaux californiennes pour se rendre à Hawaï. Ensuite, ils migrent vers un endroit au milieu du Pacifique que l’on appelle « White Shark Café ». Ils s’y concentrent et y vagabondent sans que l’on sache encore vraiment pourquoi.

Est-ce qu’à terme ces migrations sont dangereuses pour les requins ou pour les humains ?

Ces migrations sont dangereuses pour les requins pélagiques qui deviennent des victimes de choix de la pêche aux ailerons. Il est pour ainsi dire impossible de réguler ces pratiques dans les eaux internationales. En revanche, il n’y a pas de danger pour l’espèce humaine.

Et pour l’écosystème marin, quelles sont les conséquences de ces pratiques de pêches ?

L’impact est catastrophique. Les requins visés sont des prédateurs au niveau trophique ultime dans l’écosystème marin. Ils assurent l’équilibre marin et régulent les espèces qui leurs sont subordonnées. Ils sont indispensables à la santé de nos océans. L’homme les extermine à une vitesse et dans des proportions telles, que les espèces sont incapables de soutenir cette pression et finissent par disparaître. Il en va de même pour d’autres espèces côtières. Cet impact nous est encore imperceptible, mais on sait que des espèces comme le requin-renard, le requin-tigre ou le requin-marteau halicorne ont disparues dans des proportions comprises entre 80 % et 98 % de leur population totale.

Peut-on prévoir la date de ces migrations et les lieux d'arrivées ?

C’est possible pour certaines espèces. Les grands requins blancs de la côte ouest des États-Unis, par exemple, migrent vers le « White Shark Café » en hiver et au printemps. Les femelles requins pointes noires et requins tisserands se déplacent par milliers le long des côtes de Floride en hiver.

Y-a-t-il un rapport entre la migration et la reproduction ?

C’est fort probable mais pour l’instant ce n’est pas scientifiquement prouvé.

Quel est l’avenir des requins avec ces nouvelles migrations ?

À moins de mettre en place de véritables mesures obligatoires, localement et internationalement, et d’instaurer de réelles pénalités en cas de transgressions, je suis assez pessimiste sur l’avenir des requins dans les océans. Cependant, je garde espoir et ne cesserai jamais de me battre pour eux.

Retrouvez nos voyages "Spécial Requins" avec notre expert Jean-Marc Rodelet :

Philippines - Magellan du 21.10.17 au 04.11.17
Micronésie du 01.11.17 au 16.11.17 - Complet
Mexique du 08.12.17 au 17.12.17
Bahamas du 11.04.18 au 24.04.18

 

 

Crédits photo : Bo MANCAO

 

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